Société à mission : qu'en pensent les entreprises familiales ?

Pourquoi les entreprises familiales, pourtant proches par nature de l’esprit “à mission”, restent-elles minoritaires à adopter ce statut ? Témoignages de celles qui ont franchi le pas… et de celles qui hésitent encore. Cette enquête restitue leurs points de vue, entre convictions, hésitations et pragmatisme.
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Webinaire le 15 janvier 2026 - Société à mission : qu'en pensent les entreprises familiales ?

Retrouvez le témoignage d’experts et le retour d’expériences d’entreprises familiales qui débattront sur le sujet.

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« J’ai voulu sanctuariser les fondamentaux »

Pour Restoria, c’est l’entrée d’un nouvel investisseur qui a été le déclencheur de l’adoption de la qualité de Société à mission. Cela faisait déjà 15 ans que la volonté d’être un “exemple durable” avait été inscrite au plan stratégique, et pour son dirigeant Emmanuel Saulou, aucun doute : “L’entreprise porte un projet politique et n’est pas là que pour faire du profit”. Si la démarche était “le fruit d’une démarche de RSE entamée de longue date”, c’est bien parce qu’il s’apprêtait à ouvrir le capital de la société à un investisseur extérieur à la famille qu’il a voulu adopter cette qualité pour rendre la mission statutaire, donc opposable, y compris aux actionnaires. Et éviter ainsi qu’elle perde sa dimension engagée. 

 

Car engagées, beaucoup d’entreprises familiales le sont. Elles portent souvent des valeurs et une volonté de contribution sociétale. 

 

On aurait donc pu s’attendre à ce que la très grande majorité d’entre elles aient choisi d’adopter la qualité de société à mission créée dans le cadre de la Loi Pacte de 2019, la démarche présentant en effet de nombreux points communs avec les caractéristiques des entreprises familiales: vision du temps long, ancrage territorial, culture et valeurs fortes. D’autant plus que ces dernières paraissent de ce fait particulièrement bien armées pour se lancer dans la démarche. Force est de constater que tel n’est pas (encore ?) le cas.

 

Ce constat a piqué la curiosité de l’équipe HAATCH, société à mission elle-même depuis 2020, qui accompagne depuis 2009 de nombreuses entreprises familiales dans la construction de leurs stratégies et feuilles de route RSE, et d’autres entreprises dans l’adoption de la qualité de Société à Mission depuis 2019. En partenariat avec la Communauté des entreprises à mission – association fédérant 350 organisations à mission ou en chemin -, Cécile de Lisle – Directrice Exécutive du Centre Family Business d’HEC Paris – et Family & Co – spécialiste de l’accompagnement des entreprises et actionnaires familiaux depuis 2004, – nous avons décidé de mener l’enquête. Nous avons réalisé une dizaine d’entretiens avec des entreprises familiales de profils variés, certaines “à mission”, d’autres non, certaines plutôt sponsors, d’autres plutôt opposées à la démarche. Ces entretiens nous ont permis de retracer des sagas entrepreneuriales et familiales passionnantes, de recenser leurs défis et leurs attentes, et d’interroger la pertinence de la démarche de Société à mission pour y répondre.



Cet article fait ressortir les points saillants de ces échanges et donne quelques éléments de réponses aux questions suivantes :

  • Les entreprises familiales sont-elles des entreprises comme les autres ?
  • La société à mission est-elle aussi adaptée à ces entreprises qu’elle en a l’air ?
  • Cette démarche peut-elle aider à relever les défis spécifiques des entreprises familiales ?

 

L’entreprise familiale, une entreprise comme les autres ?

Définition et diversité des profils

La notion d’entreprise familiale recouvre une réalité multiforme. Il n’existe pas une définition unique de ce qu’est une entreprise familiale, et nous l’avons constaté dès nos entretiens : certains dirigeants se demandaient même s’ils pouvaient être qualifiés ainsi. Nous retenons ici la définition d’entreprise familiale de la Commission européenne adoptée par le FBN France. Selon cette définition, d’après les travaux du FBN et de l’école Dauphine, elles comptent pour 68% des PME, 73% des ETI et 60% des grands groupes, soit autour de 2/3 des entreprises en France (hors TPE). Sous cette définition relativement large, on trouve une grande diversité de profils. Nos interlocuteurs couvrent des secteurs aussi variés que la construction, la santé, la restauration collective ou l’agroalimentaire. Certaines de ces entreprises sont encore entièrement contrôlées et dirigées par la famille fondatrice, tandis que d’autres ont ouvert leur gouvernance à des dirigeants extérieurs tout en conservant l’actionnariat familial. Petites ou grandes, locales ou internationales, les entreprises familiales forment un ensemble hétérogène mais bien identifiable par ce lien capitalistique et affectif unissant l’entreprise à une famille.

Focus sur les entreprises familiales dans le monde et en Europe

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Les définitions des entreprises familiales sont extrêmement variables et influencent considérablement le périmètre du sujet. Elles s’appuient sur la propriété du capital, le contrôle (droits de vote) et l’implication ou non de la famille dans la gestion. Les seuils retenus pour la détention du capital et le contrôle varient selon les études entre 10% et 50%.

 

DANS LE MONDE

Les entreprises familiales représentent la majorité des entreprises dans le monde, contribuant :

– à plus de 50% du produit intérieur brut (PIB) des économies développées et employant 50% de la main-d’œuvre totale

– à 70% du PIB mondial et 60% de l’emploi mondial

 

EN EUROPE

La définition de l’Union Européenne de l’entreprise familiale requiert la détention d’une majorité des droits de vote, et l’implication d’un membre au moins de la famille dans la gouvernance, mais pas la transmission d’une génération à une autre. Par exception, pour les sociétés cotées, une condition unique est fixée, la détention par la famille de 25% des droits de vote. 

Selon cette définition plus de 60 % des entreprises européennes sont familiales, et procurent plus de la moitié du PIB et des emplois européens (71% des entreprises 69 % de l’emploi et 65 % de la valeur ajoutée en France). 

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Cécile de Lisle
Directrice Exécutive du Centre Family Business d’HEC Paris

Malgré leurs spécificités, les entreprises familiales restent, avant tout, des entreprises comme les autres. Elles doivent affronter les réalités de leur marché et de leur époque. Ainsi, crises sectorielles et conjoncturelles n’épargnent personne : une entreprise de BTP familiale subit la chute du marché immobilier tout comme ses concurrentes non familiales, une PME de restauration collective voit ses marges rognées par la flambée des coûts alimentaires et les suites du Covid, et un producteur fromager familial fait face, lui aussi, aux difficultés d’approvisionnement en matières premières. De même, l’inflation des coûts, les contraintes réglementaires spécifiques à certains secteurs (par exemple dans la santé ou l’alimentation) ou la pénurie de talents dans certains métiers touchent les entreprises familiales aussi durement que les autres. En somme, leur statut familial ne les immunise pas contre les réalités du terrain, même si certaines études montrent qu’elles sont enclines à mieux résister aux crises en faisant preuve d’une plus grande résilience.

 

Pour autant, les entreprises familiales présentent des caractéristiques bien marquées qui les distinguent souvent dans la manière d’appréhender ces défis. Le plus grand défi singulier d’une entreprise familiale reste généralement la transmission aux générations futures. Près de 65 % des dirigeants de PME et ETI familiales souhaitent passer le flambeau à un membre de leur famille, mais beaucoup n’ont pas encore défini de plan de succession clair. Or, une transmission mal préparée peut mettre en péril la pérennité de l’entreprise. Cette préoccupation s’inscrit dans une logique plus large qui caractérise les entreprises familiales : leur vision du temps long. Raisonnant quasi exclusivement à long terme, elles valorisent la transmission et la continuité plus que la performance court-termiste. Là où d’autres entreprises subissent la pression des résultats trimestriels ou des actionnaires “à durée déterminée”, l’actionnariat familial permet d’alléger cette contrainte et d’envisager des investissements plus stratégiques et durables. Cette vision de long terme a pour vertu de rassurer l’ensemble des employés non-familiaux, comme Servane Verrechia, Responsable stratégie, développement et innovation du Groupe Verrechia le souligne : “voir les enfants de la famille dans l’entreprise familiale, ça permet de convaincre les gens de se dire ‘Ah, je reste dans une entreprise qui a l’objectif de continuer’.”

 

Autre trait saillant : une culture d’entreprise imprégnée par la famille. Les valeurs familiales guident souvent la vision de l’entreprise et sa gestion au quotidien. La proximité entre dirigeants et employés ressort également comme un point fort. “LNA Santé, c’est une famille  !” s’exclame ainsi Willy Siret, dirigeant de LNA Santé, entreprise de santé familiale. Travailler pour une entreprise familiale revêt une dimension identitaire et affective particulière. Les collaborateurs se disent fiers de contribuer à une aventure entrepreneuriale qui s’inscrit souvent dans une longue histoire. Cette stabilité inspire confiance : une entreprise familiale donne l’image rassurante d’un ancrage dans la durée, loin des décisions dictées par la rentabilité à court terme.

 

 

Entreprise familiale “à mission” : complémentaire, redondant ou contre-nature ?

“A mission” ou pas, les entreprises familiales ont déjà beaucoup d’atouts…

Avec de telles caractéristiques, les entreprises familiales possèdent déjà des forces que la démarche de société à mission permet à d’autres de conquérir. La première est leur attractivité et la fidélisation des talents. Les collaborateurs sont attirés par la vision à long terme, l’ancrage et la culture forte qui caractérisent ces entreprises. Comme l’explique Morgane Le Breton de Maison Le Breton : “On a recruté une jeune ingénieure d’Agro Paris Tech qui voulait rejoindre une entreprise familiale”. Cette proximité et ce climat de confiance permettent d’attirer des profils motivés et engagés.



En outre, sans même formaliser une mission, ces entreprises intègrent souvent spontanément les préoccupations sociales et écologiques dans leurs décisions. D’après Bruno Lestrat, le Directeur Administratif et Financier (DAF) de Rians appartenant au Groupe Triballat, « M. Triballat [le Directeur Général du Groupe] cherche à pouvoir transmettre à ses enfants, c’est donc cette façon de voir sur le long terme qui naturellement amène les sujets RSE”, au point qu’il ne ressente pas le besoin de trop la formaliser, considérant qu’elle fait déjà partie de leurs pratiques intrinsèques. Mais cela ne veut pas dire qu’une entreprise n’a pas de mission : pour Blandine Mulliez, présidente de la Fondation Entreprendre, “une entreprise a nativement une mission qui se veut différenciante. Sans cette valeur ajoutée, elle ne trouve pas son utilité”… De plus, Camille Sztejnhorn, directrice ESG du Groupe Lefebvre, rappelle que “RSE et famille semblent aller naturellement de pair”. En effet, “les actionnaires cherchent ‘nativement’ à laisser aux générations futures (ici leurs propres enfants et petits-enfants) une entreprise pérenne, ‘résiliente’, saine et dont ils peuvent être fiers.” 

 

Contrairement aux entreprises soumises à la pression de résultats trimestriels, les entreprises familiales peuvent se permettre d’investir sur le long terme et de privilégier la durabilité sur la rentabilité immédiate. Blandine Mulliez développe : “L’entreprise familiale est programmée pour durer parce qu’elle est portée par des personnes qui souhaitent transmettre. Et pour durer, il faut faire des choix long terme, des choix éclairés de sa mission. L’entreprise familiale a une conscience de recherche de robustesse au service de son utilité et de sa transmission”. Ces entreprises sont effectivement moins contraintes par le court-termisme des marchés financiers et des actionnaires anonymes, ce qui leur donne une stabilité pour développer leurs projets. Comme affirmé par Bruno Lestrat de Rians : “Dans une entreprise familiale, quand on est indépendant financièrement, on fait ce qu’on veut.”

 

Cette culture du temps long va souvent de pair avec une gestion plus prudente, qui tendrait plus à cultiver la robustesse permettant d’affronter les chocs, qu’à maximiser la performance à court terme pour accroître sa valorisation.

La préparation de la relève générationnelle est un moteur puissant de décisions stratégiques. Souvent partagés entre l’envie de voir l’entreprise poursuivre sa saga dans la famille, et le souci de laisser ses enfants libres de choisir leur voie, de nombreux dirigeants reconnaissent toutefois une part d’incertitude sur l’envie et la capacité de leurs enfants à reprendre un jour l’affaire familiale. Jean-Pierre Cheval du Groupe Cheval note que rien n’oblige la nouvelle génération à poursuivre dans la même voie : “je ne veux pas mettre la pression à mes filles” . Néanmoins, le simple fait d’avoir des successeurs potentiels confère souvent à l’entreprise une certaine stabilité sociale. À l’inverse, une dilution excessive de l’actionnariat familial peut fragiliser cette vision à long terme : lorsqu’une multitude de cousins ou lointains parents sont actionnaires, l’alignement sur un projet commun peut s’éroder et la pérennité être moins assurée. Notons tout de même ici que cette érosion n’est pas une fatalité, que la dynamique collective se travaille et peut porter des succès au long cours comme certaines aventures le montrent (Hermès, Wendel, Mulliez, Lesaffre…). Dans ces cas, le sens donné au projet, co-construit et donc partagé, est un élément crucial pour fédérer. Enfin, certaines familles envisagent la transmission de façon élargie : “même si je suis le seul actionnaire familial, pour moi, la famille, ce n’est pas moi, Jean-Pierre Cheval. La famille, c’est nous, les collaborateurs.” reconnaît ainsi la famille Cheval, montrant qu’en l’absence de successeur familial, l’ouverture à un dirigeant non familial fait partie des options pour préserver l’entreprise. Certains considèrent ainsi l’ensemble des collaborateurs comme étant une grande famille élargie, leur laissant ainsi la possibilité de contribuer au capital, comme c’est le cas chez Restoria, où “100% des collaborateurs peuvent être actionnaires”. Nous voyons que les actionnaires de ces entreprises dites “patrimoniales” se saisissent de l’ensemble des sujets portés par le capitalisme des parties prenantes, jusqu’au partage la valeur créée, que ce soit par des politiques salariales attentives, l’accès au capital pour les équipes, les actions philanthropiques rendues possibles par les résultats économiques générés… La culture du temps long, partagée avec les équipes et les parties prenantes au projet, demeure un trait marquant des entreprises familiales.

 

… mais la qualité de Société à Mission en apporte d’autres

Devenir société à mission c’est d’abord sanctuariser la mission et les fondamentaux de l’entreprise. Inscrire noir sur blanc la raison d’être familiale et les engagements sociaux/environnementaux dans les statuts permet de verrouiller les valeurs fondatrices sur le long terme. Cette protection statutaire agit comme un bouclier, en particulier lorsqu’un actionnaire externe (même minoritaire) entre au capital ou lors d’une ouverture en bourse. La mission devient juridiquement contraignante et ne peut être changée qu’avec l’accord des parties prenantes, ce qui rassure sur la continuité de l’ADN de l’entreprise malgré les évolutions capitalistiques. « J’ai voulu sanctuariser les fondamentaux de Restoria », explique Emmanuel Saulou, fils d’un des fondateurs de Restoria, entreprise familiale de restauration collective devenue société à mission en 2021. Pour les ETI/PME familiales envisageant une croissance externe ou une transmission hors du cercle familial, la qualité de société à mission offre ainsi une garantie de fidélité à certaines valeurs et ambitions d’origine. Cela peut aussi constituer un signal fort aux partenaires financiers : l’entreprise affiche clairement qu’elle ne poursuivra pas le profit au détriment de sa mission, ce qui cadre les attentes des investisseurs entrants, et offre une protection juridique au dirigeant.

Beaucoup de familles pilotent leur société avec des valeurs implicites ; la démarche d’élaboration de la mission oblige à mettre en mots et en objectifs précis ces intentions. Ce travail de formalisation est particulièrement pertinent dans les groupes familiaux comprenant de nombreux membres ou lors d’un changement de génération. Il est d’ailleurs bien souvent entrepris hors logique de l’entreprise à mission pour aboutir à une “charte familiale” qui détaille le “pourquoi”, le “quoi” et le “comment” de l’aventure familiale. Aller plus loin, en inscrivant une mission dans les statuts crée un référentiel commun au-delà de la famille. « Ça m’a paru naturel, c’est déjà ce qu’on fait… Oui, mais on va pouvoir faire mieux » confie ainsi le dirigeant du Groupe Cheval, qui a inscrit la raison d’être de son entreprise de BTP dans ses statuts en 2020. La mission a agi comme un miroir de leurs pratiques et a permis d’adopter une logique de progrès continu.

Adopter la qualité de société à mission implique un audit indépendant par un Organisme Tiers Indépendant (OTI) tous les deux à trois ans. Pour certaines entreprises familiales à la gouvernance peu formalisée ou peu coutumières d’ouvrir leurs comptes et leurs pratiques au regard extérieur, cela représente un changement culturel. Toutefois, cet examen apporte un œil neuf et force à mesurer les progrès de la mission, ce qui peut s’avérer très bénéfique. Dans certains secteurs, cette exigence n’est pas vécue comme une contrainte car la culture de l’évaluation y est déjà bien ancrée : par exemple, Willy Siret, dirigeant de LNA Santé (cliniques et Ehpad) souligne que dans le sanitaire et médico-social, “nos métiers sont très régulés”, avec des certifications et des inspections fréquentes, si bien que l’OTI s’insère naturellement dans leurs processus. De même, le Groupe Cheval a rapidement intégré ce contrôle de la mission dans son fonctionnement, publiant sans difficulté ses rapports de mission sur ses 52 projets internes, témoignant d’une transparence acceptée apportant également une certaine crédibilité.

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Les entreprises familiales à l'épreuve des générations

Dans une étude de 2023, Bpifrance Le Lab décrypte les enjeux de transmission des entreprises familiales à l’épreuve des générations. Comment les PME et ETI familiales regardent-elles l’avenir ? Comment le préparent-elles ?

En savoir plus sur l'étude

Le comité de mission : une nouvelle gouvernance utile pour piloter le long terme


A partir de 50 salariés, la loi impose la création d’un comité de mission chargé du suivi des objectifs sociaux/environnementaux, distinct des organes de gouvernance classiques. Pour les entreprises familiales n’ayant pas de conseil d’administration formalisé (cas fréquent des PME familiales en gouvernance plus informelle), ce comité de mission peut représenter un premier pas vers une gouvernance ouverte, avec des regards croisés y compris externes sur des projets structurants de l’entreprise. Il permet d’impliquer des parties prenantes variées, souvent peu associées à la gouvernance (y compris des membres externes à la famille, des clients ou des partenaires) dans la réflexion de l’entreprise. D’après l’expérience partagée par le Groupe Duval (immobilier, famille Duval), associer le comité de mission aux réflexions stratégiques s’est avéré précieux : “En tant que Groupe familial, avoir un comité de mission a un réel intérêt, car c’est pour nous un espace d’échanges privilégiés où des membres externes nous apportent leur expertise, leur expérience et nous permettent de grandir, de porter un regard éclairé sur nos enjeux stratégiques et nous challenger dans une démarche d’amélioration continue”. Il sert de garde-fou et de laboratoire d’idées pour traduire la mission en actions concrètes, tout en faisant le lien avec la stratégie globale. Cette instance additionnelle contribue à la structuration de la gestion familiale en introduisant un suivi formel des engagements… avec un rôle qui dépasse parfois, de fait, le simple contrôle de l’exécution de la mission. Attention toutefois : comme le rappelle Laurent Allard (Family & Co), et comme on le voit dans les entreprises familiales déjà dotées d’un conseil d’administration ou d’un comité RSE, le comité de mission doit rester dans ses attributions, au risque de déstabiliser la bonne gouvernance de l’entreprise, qui, si elle ne l’est pas déjà, devrait être structurée par ailleurs.

 

Au-delà : la mission, une démarche encore jeune, où le collectif et le partage dominent

Certains dirigeants et dirigeantes, bien que membres d’une famille où les frontières sont parfois floues entre les sujets personnels et professionnels, peuvent ressentir de l’isolement, comme les autres. Se lancer dans la démarche de Société à mission offre l’opportunité d’échanger autour de sujets de fond avec d’autres entreprises, de tous profils et de tous secteurs, intéressées par la démarche. Au sein de la Communauté des entreprises à mission, ils trouvent l’opportunité de rencontrer d’autres dirigeants et dirigeantes, d’échanger entre pairs sur leurs enjeux de mission et confronter leurs pratiques avec ouverture et bienveillance, au-delà de leurs sujets du quotidien. Une dimension précieuse dans le fait de devenir Entreprise à Mission est ainsi “l’effet écosystème” que porte cette dynamique, parfois jusqu’à des démarches partenariales et de développement de projet et des affaires en commun.

 

Conclusion

Les entreprises familiales disposent d’atouts indéniables pour affronter un monde où la seule constante est le changement permanent…

Biberonnés à l’histoire de l’entreprise familiale, leurs dirigeants et dirigeantes ressentent peut-être un peu moins que les autres le besoin de formaliser une raison d’être pour la ressentir dans leur chair.

Habitués à penser à long terme, peu inquiets de voir la vocation de l’entreprise dévoyée, ils et elles ne voient pas toujours le bénéfice de graver le modèle de mission dans le marbre des statuts.

Moins soumis à la pression d’actionnaires gourmands en KPIs, certains sont peut-être un peu moins soucieux de pilotage que de réalisations concrètes et ils ne ressentent pas forcément le besoin de formaliser une mission “opposable” à une pression du court terme. 

Dans une culture de la discrétion et parfois peu enclins à s’ouvrir aux regards extérieurs, ils ne sont pas tous prêts à associer leurs parties prenantes externes à leur gouvernance, et encore moins à se soumettre à l’autorité d’un auditeur, sans perception d’un bénéfice clair en face de cette “contrainte”. Quand tout le monde est d’accord sur le sens donné à l’aventure familiale, et que l’entreprise est gérée en cohérence, quel besoin de se contraindre par une nouvelle organisation avec ses passages obligés. 


Pourtant, les retours d’entreprises familiales “à mission” que nous avons interrogées sont unanimes : cette démarche est plus naturelle pour une entreprise familiale que pour une autre et elle apporte aussi de nombreux autres bénéfices très attractifs : une distinction supplémentaire, utile dans un environnement concurrentiel parfois rude, et surtout une clarification, un renforcement, une pérennisation du projet d’entreprise, un alignement de ses parties prenantes internes et externes, le fait d’entrer dans une démarche de progrès continu structurée et, au global, le sentiment d’être mieux armé, face aux défis (nombreux) du quotidien, comme dans les moments décisifs tels qu’une croissance externe, l’entrée d’un nouvel actionnaire ou le passage de témoin à la génération suivante.

Alors, entreprises familiales “à mission” : fausse bonne idée ou vrai choix pour aller plus loin ?

C’est le fruit d’une démarche propre à chaque aventure familiale qui pourra apporter la réponse… et cette réponse ne sera jamais définitive : l’entreprise familiale vit, la famille évolue au fil du temps, son projet aussi !

Informations sur l’étude

Méthodologie : Une dizaine d’entretiens qualitatifs menés auprès d’entreprises familiales de tailles et secteurs variés, certaines déjà sociétés à mission, d’autres non, permettant de croiser regards favorables et plus critiques.

 

Les porteurs de l’étude :

  • HAATCH : société à mission depuis 2020, accompagne depuis 2009 des entreprises familiales et, depuis 2019, les organisations dans l’adoption du statut de Société à mission.
  • Communauté des Entreprises à Mission (Cem) : association créée en 2018, fédérant aujourd’hui plus de 340 organisations à mission, en chemin ou s’intéressant au modèle.
  • Cécile de Lisle, Directrice Exécutive du Centre Family Business d’HEC Paris : experte des enjeux de gouvernance et de transmission familiale.
  • Family & Co : cabinet spécialiste de l’accompagnement des entreprises et actionnaires familiaux depuis 2004.

 

Objectif : Mieux comprendre le lien entre modèle familial et société à mission, identifier les freins, leviers et attentes spécifiques, et nourrir le débat public comme la pratique des dirigeants.

 

Liste des répondant.es :

  • Bruno Lestrat, Directeur Finance, IT, Legal et RSE de Rians
  • Morgane Le Breton, Responsable Marketing de Maison Le Breton 
  • Servane Verrechia, Responsable stratégie, développement et innovation du Groupe Verrecchia 
  • Blandine Mulliez, Présidente de la Fondation Entreprendre
  • Emmanuel Saulou, Président de Restoria
  • Jean-Pierre Cheval, Président du Groupe Cheval 
  • Willy Siret, Directeur Général de LNA Santé 
  • Pauline Duval, Directrice Générale du Groupe Duval 
  • Camille Sztejnhorn, Directrice ESG du Groupe Lefebvre

 

Ressources bibliographiques : 

  1. Observatoire des Sociétés à Mission (2025). Huitième portrait des sociétés à mission
  2. Family Business Network (2022). Le saviez-vous ? Comment définir une entreprise familiale ? – FBN France
  3. Family Business Network (2025). Baromètre de la transmission des entreprises familiales
  4. Shepherd, D.A. and Zacharakis, A. (2000). Structuring Family Business Succession: An Analysis of the Future Leader’s Decision Making. Entrepreneurship Theory and Practice, 24(4), pp.25–39. 
  5. Leke, A. and Korkmaz, B. (2025). The holistic impact of family organizations.
  6. Andrieu, E., Toubal, F. and Villanueva, P. (2024). Family Firms in France: Macro Impact and Micro Insights . SSRN Electronic Journal
  7. Gresse, C. (2025). Are Family Firms More Resilient than Non-family Firms in Times of Crises? SSRN Electronic Journal.
  8. Bpi France (2023). Dans sa nouvelle étude, Bpifrance Le Lab décrypte les enjeux de transmission des entreprises familiales à l’épreuve des générations. Comment les PME et ETI familiales regardent-elles l’avenir ? Comment le préparent-elles ?