Lors du salon Produrable 2023, HAATCH a eu le plaisir de conduire trois conférences sur les thèmes suivants : « Quand la double matérialité devient un outil stratégique : partage d’un retour d’expérience concret », « Déploiement de sa stratégie RSE : et s’il était surtout question de gouvernance? », et enfin, « RSE et luxe : partage d’expérience de ceux et celles qui travaillent à la transformation de leurs Maisons ».

Au cœur de cette session, Marion LAROCHETTE, Sustainability Director de Tag Heuer, a partagé une approche concrète de leur parcours RSE, aux côtés de Minh TRAN KIM, Directeur Associé chez HAATCH.

Ici, ils abordent la thématique du luxe responsable au travers d’un retour d’expérience concret sur la démarche RSE, menée main dans la main par Tag Heuer et HAATCH. Ensemble, ils retracent les étapes clés parcourues dans la définition de la stratégie RSE de la maison d’horlogerie suisse.

Un bref constat sur l’industrie du luxe à date. Notre question de départ, le luxe peut-il être durable ?

 

Minh TRAN KIM : Il existe un paradoxe au cœur de l’industrie du luxe, qui réside dans la dualité suivante :

D’un côté, le luxe incarne la pérennité, s’ancre dans le temps. Il utilise des matières premières de qualité, donc plus durables. Les produits de luxe ne se jettent pas, au contraire, ils se préservent et se transmettent de générations en générations, contribuant ainsi à une économie plus circulaire. De plus, le luxe préserve un patrimoine précieux. Il contribue à raviver des savoir-faire traditionnels, majoritairement français, et favorise les économies locales, luttant contre la délocalisation.

Cependant, cette excellence est entachée par des dérives notables. La gouvernance parfois défaillante, les empreintes carbone élevées et la tendance à la surconsommation représentent des failles dans cet univers.

Cette dualité est exacerbée par une sensibilisation croissante des millennials à la durabilité, les rendant plus exigeants dans leurs choix d’achat et mettant ainsi davantage en lumière ces failles au sein de l’industrie du luxe.

Après avoir dressé ce premier constat, nous pouvons rentrer plus en détails sur les problématiques spécifiques à la maison Tag Heuer. Marion, que peux-tu nous dire à ce sujet?

Marion LAROCHETTE : Tout d’abord notre principale spécificité réside dans la durabilité de nos produits, qui est particulièrement forte, même au sein de l’industrie du luxe, ce qui est une spécificité propre à l’horlogerie suisse. Nous sommes cependant confrontés à des défis majeurs liés à notre chaîne de valeur et à l’origine des matériaux, des aspects peu explorés jusqu’alors par l’industrie. Par exemple, l’étiquetage « Made in » présente des lacunes en matière de transparence, limitant la visibilité sur nos processus. La traçabilité des fournisseurs et la transparence demeurent des problèmes cruciaux à résoudre.

Présentation des différentes étapes parcourues pour définir la stratégie RSE de Tag Heuer :

 

  1. Kick off & acculturation : Nous avons tout d’abord commencé par une mise à niveau pour comprendre en profondeur le secteur de l’horlogerie de luxe. Pour cela, nous avons mené des entretiens d’acculturation avec le comité de direction (CODIR) et effectué des visites des manufactures Tag Heuer. Tout cela nous a permis d’appréhender la réalité terrain, de comprendre les enjeux business et d’identifier les aspects RSE sous-jacents.
  2. Constitution d’un groupe de pionniers : Il s’agit ensuite de recruter une équipe de volontaires, au sein de l’entreprise, représentant les diverses fonctions et régions de cette dernière. Ces membres, nommés “les pionniers”, vont être responsables de définir les enjeux matériels de l’entreprise au travers de divers ateliers (réflexion sur la chaine de valeur et ses impacts etc…). Ces pionniers, davantage sensibilisés, ont été parmi les premiers à intégrer la RSE dans leurs activités quotidiennes. Leur évolution et leur engagement ont apporté du sens au travail quotidien, influençant positivement les équipes et motivant d’autres à rejoindre le projet. Les ateliers ont été des opportunités d’apprentissage et d’enrichissement pour ces participants, leur apportant une meilleure compréhension des enjeux business et RSE, et les préparant ainsi à ‘l’après’. La co-construction de la stratégie s’est avérée essentielle, car les pionniers, convaincus dès la définition de la feuille de route, sont devenus des ambassadeurs du projet. Les ateliers ont servi à identifier les enjeux majeurs de l’entreprise, co-construits avec ces pionniers. Ces enjeux, jugés les plus cruciaux, ont été soumis à la consultation du CODIR pour garantir leur implication continue, qui est essentielle. Cette approche a permis une évolution conjointe des pionniers et du CODIR tout au long de la construction stratégique, ce qui à terme a facilité la mise en place et le déploiement de la feuille de route.
  3. Réalisation d’une consultation quantitative des parties prenantes : Une fois la liste des enjeux prioritaires identifiée et validée par les pionniers et le CODIR, il faut la soumettre aux parties prenantes de l’entreprise. Ainsi, Tag Heuer a réalisé avec HAATCH une consultation quantitative des parties prenantes sous la forme d’un questionnaire anonyme. Ce dernier a été envoyé à toutes les parties prenantes de l’entreprise, internes comme externes. Cela inclut l’ensemble des collaborateurs, ainsi que tous les fournisseurs, partenaires commerciaux ou wholesale, auditeurs, ONG, et organismes de certification travaillant avec Tag Heuer. Les résultats de ce questionnaire, majoritairement convergents chez Tag Heuer, ont servi de base pour construire la matrice de matérialite.
  4. Construction de la matrice de matérialité : Créée à partir des enjeux déterminés lors des deux phases précédentes et de leur analyse croisée, cette matrice a permis de mettre en lumière le « carré d’or », situant en haut à droite les enjeux les plus critiques. Ce processus a servi de base pour établir la feuille de route par la suite.
  5. Mise en place de la feuille de route RSE (Objectifs, KPIS et plans d’action) : Découlant de la matrice de matérialité, cette phase a consisté à identifier les engagements clés et à définir les grandes orientations de la maison.

Trois piliers ont été établis suite à la consultation : l’innovation durable, l’autonomisation (axée sur les collaborateurs), et l’objectif d’excellence.

  • Innovation durable : une valeur essentielle chez Tag Heuer, visant à intégrer la durabilité dans l’innovation, tant pour les produits que les services.
  • Autonomisation : axée sur le bien-être au travail, la diversité et l’inclusion.
  • Viser l’excellence : engagement en faveur de la réduction de l’empreinte environnementale de la maison ainsi que la meilleure transparence et traçabilité de la chaîne de valeur de Tag Heuer.

Pour chacun de ces piliers, trois à quatre indicateurs clés de performance (KPIs) ont été définis, accompagnés de dates cibles (horizon 2026, 2030…). Pour HAATCH, il était crucial d’intégrer un pilier portant sur l’offre de produits ou de services même (pilier innovation durable ici), car c’est celui qui touche réellement au coeur de l’entreprise et à son modèle d’affaire. C’est LE pilier réellement transformant, qui va pousser l’entreprise à aller plus loin.

  1. Mise en place de la gouvernance et suivi : Pour obtenir la validation du comité de direction sur la feuille de route et les indicateurs clés de performance, Tag Heuer a soigneusement veillé à ce que l’équipe de pionniers soit considérée comme légitime aux yeux du comité de direction. Pour cela, ce dernier a préalablement validé la liste des pionniers. De plus, un processus d’échanges constants entre les pionniers et le CODIR a été mis en place : les pionniers venaient régulièrement rendre compte de leur travail auprès du CODIR, qui, à son tour, venait enrichir la démarche en apportant son point de vue éclairant. Cette démarche de co-construction entre les pionniers et le comité de direction a permis de conférer une réelle légitimité aux mesures mises en place. Cette approche a d’ailleurs été maintenue lors de la mise en place de la gouvernance, ce qui a permis d’assurer un déploiement efficace, les modalités d’échanges entre pionniers RSE et CODIR étant déjà bien rodés. De plus, un planning de réunions a été mis en place dès le départ, avec un rythme soutenu pour les différents groupes de travail afin de définir rapidement de nouvelles habitudes de travail et assurer un déploiement efficace de la feuille de route RSE. Au début, il y avait de nombreux sujets à défricher, notamment l’absence de T0 pour Tag Heuer, ce qui empêchait de définir clairement certains KPIs. Cette phase initiale a demandé un effort important de la part des équipes mais une fois ces fondations posées (ce qui s’est fait rapidement chez Tag Heuer), les réunions des groupes de travail peuvent être plus espacées.
  2. Déploiement international : en préparation chez Tag Heuer actuellement. Toutefois, d’après notre expérience, nous vous recommandons de privilégier un déploiement sur votre marché principal pour que tout soit bien cadenassé et que les T0 soient bien faits.

 

Merci beaucoup à Marion pour son retour d’expérience. Nous avons maintenant le temps pour quelques questions de la salle.

 


Question : Avez-vous envisagé le passage vers une économie de la fonctionnalité plutôt que l’économie de la possession ?

Marion LAROCHETTE : On concentre actuellement nos efforts sur la durabilité et la réparabilité de nos produits. Ils sont conçus pour avoir une durée de vie plus longue, c’est notre priorité. Nous surveillons de près ces tendances, mais chez Tag Heuer, notre positionnement est plutôt fonctionnel. Ce n’est pas au cœur de nos réflexions pour le moment.

Question : Encouragez-vous des modèles tels que Vestiaire Collectif ou la revente de seconde main ?

Marion LAROCHETTE : Ma réponse va un peu reprendre la précédente. En effet, notre action se concentre actuellement sur le produit lui-même, en privilégiant sa durabilité et sa réparabilité. Cependant, nous privilégions ainsi indirectement la revente de nos produits car tout ce qui facilite sa revente (garantie, traçabilité, authentification) fait partie de nos préoccupations.

Question : Comment harmonisez-vous la stratégie de votre maison avec celle du groupe, tout en préservant vos priorités ?

Marion LAROCHETTE : Notre stratégie doit être cohérente avec celle du groupe, c’est évident. Cependant, dans un groupe tel que le nôtre, où chaque maison jouit d’une grande autonomie, nous avons la liberté de cibler les sujets les plus pertinents selon les valeurs, les produits et les spécificités de notre maison. Les engagements des différentes maisons LVMH illustrent bien cette diversité et semble assez logique pour un groupe si vaste, les problématiques variant énormément entre une maison travaillant la vigne et une maison fabriquant des montres.

Question : Comment prévoyez-vous de valoriser votre démarche auprès de vos clients ?

Marion LAROCHETTE : Actuellement, nous concentrons nos efforts sur notre démarche interne. Une fois que nous aurons avancé, nous réfléchirons à la manière de la valoriser auprès de nos clients.

Question : Comment avez-vous maintenu le lien avec les parties prenantes internes et externes ?

Marion LAROCHETTE : Nous n’avons pas maintenu de contact avec toutes nos parties prenantes externes interrogées durant la consultation. Cependant, dans la vaste majorité des cas, maintenir le lien avec nos parties prenantes externes s’est fait assez naturellement. Les échanges s’intègrent naturellement dans notre relation continue avec nos parties prenantes. En interne, grâce à la gouvernance que nous avons instaurée, nous continuons de collaborer avec les personnes impliquées et elles restent engagées sur le sujet.


 

Le cabinet HAATCH remercie Marion Larochette pour sa participation à cette conférence et pour son retour d’expérience précieux. L’intégralité de la conférence est à retrouver ci-dessous :

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